La nuit historique où SEIS a été posé sur Mars

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La nuit historique où SEIS a été posé sur Mars

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Le 19 décembre 2018 au soir, la sonde InSight de la NASA est rentrée dans l’histoire de l'exploration spatiale avec un grand H, en devenant le premier engin d’exploration interplanétaire a avoir déposé au sol, grâce à un bras robotique, un instrument scientifique à la surface d’une autre planète.

Une partie de l'équipe française SEIS au Jet Propulsion Laboratory, 7 minutes avant la réception des images confirmant le déploiement de SEIS au sol (© NASA/JPL/IPGP/Philippe Labrot).Une partie de l'équipe française SEIS au Jet Propulsion Laboratory, 7 minutes avant la réception des images confirmant le déploiement de l'instrument au sol le 19 décembre 2018. Au premier plan à gauche, Frédérique Meunier (analyse de la télémesure, CNES) et à droite Gabriel Pont (responsable instrument, CNES) (© NASA/JPL-Caltech/IPGP/Philippe Labrot).

Pour les membres de l’équipe présents au centre Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la NASA en Californie, la journée avait été lourde d’appréhension. La dépose au sol du sismomètre SEIS était effectivement un pré-requis critique pour la réussite de la mission. Sur le pont de l’atterrisseur, et tout comme le sismomètre de Viking 2 il y a 42 ans, l’instrument était effectivement exposé à un niveau de bruits trop importants pour pouvoir être véritablement utile. L'enregistrement, par les capteurs sismiques à courte période, des vibrations causées par le vent sur les panneaux solaires en a été la démonstration la plus évidente.

Les commandes de déploiement avaient été envoyées la veille (mardi 18 décembre) vers 17H00 (heure californienne). Sur Mars, InSight venait alors de débuter le sol 22. Pour des raisons thermiques (le bras robotique supportant plus efficacement des charges lourdes à des températures très basses), les ingénieurs avaient décidé d’attendre le coucher du soleil pour réaliser la dépose au sol de SEIS. A ce moment là, les températures descendaient entre -35°C et -50°C environ, et il y avait encore suffisamment de lumière pour prendre des images.

Après le déploiement, réalisé de façon entièrement automatique, la transmission des données ne pouvait pas avoir lieu immédiatement vers la Terre, et les membres de la mission ont donc dû patienter jusqu’au mercredi 19 décembre au soir (soit une journée complète) pour connaître le résultat de l’opération complexe et risquée qu’ils avaient déclenché la veille.

Réception des premières données

A 18h00, l’équipe en charge du déploiement devait recevoir un jeu partiel de données de télémesure (mais pas encore d’images) dans une session de télécommunication en bande X. L’information essentielle qui était attendue était de savoir si le bras robotique IDA était passé en mode de sauvegarde (safe mode), dans le cas où quelque chose d’inhabituel se soit produit durant la séquence de dépose.

Hélas pour les ingénieurs, un peu avant l'ouverture de la fenêtre de communication, le réseau d’écoute de l’espace lointain (DSN) de la NASA fut touché par un dysfonctionnement technique. La grande antenne de 70 mètres DSS 14 de la station de Goldstone en Californie était devenue inopérationnelle. L’incident compromettait l’arrivée de la télémétrie en bande X, ainsi que celles des images 3 heures plus tard.

Philippe Laudet (chef de project SEIS, CNES) et Philippe Lognonné (PI SEIS, IPGP) devant les images du sismomètre SEIS au sol (© NASA/JPL/IPGP/Philippe Labrot).Philippe Laudet (chef de projet SEIS, CNES, à gauche) et Philippe Lognonné (PI SEIS, IPGP, à droite) devant les images du sismomètre SEIS au sol dans la salle d'opérations InSight du Jet Propulsion Laboratory (© NASA/JPL-Caltech/IPGP/Philippe Labrot).

Après une période d’attente et d’incertitude qui parut ne jamais finir, une première bonne nouvelle parvint à la salle d’opérations InSight du JPL : les techniciens et ingénieurs du DSN étaient parvenus à rendre à nouveau fonctionnelle l’antenne DSS 14, après une intervention effectuée en un temps record. Lorsque la télémétrie en bande X se déversa sur les consoles, aucun des indicateurs « safe mode » d'InSight n’étaient actifs. Deux hypothèses opposées permettaient d’expliquer cette situation : soit le bras robotique avait correctement accompli sa mission, soit il n’avait pas entamé la séquence de déploiement à cause d’un incident survenu en amont.

L’un des événements absolument critique à la dépose de SEIS était la séparation correcte de l’instrument de son berceau porteur. Pour le lancement, la phase de croisière et l’atterrissage, le sismomètre était riveté au pont de l’atterrisseur par l’intermédiaire de trois piliers coniques, équipés de frangibolts.

Frangibolts

Les frangibolts sont des dispositifs très utilisés dans le domaine spatial pour écarter deux parties initialement fixées l'une avec l'autre. Leur principe repose sur un matériau à mémoire de forme, qui se dilate si on lui applique un courant électrique. L'expansion du métal exerce une pression très importante sur une vis, qui tient les deux parties ensemble, et qui a été préalablement fragilisée par une entaille. Sous la contrainte, la vis finit par se briser en deux, ce qui sépare les deux segments. Conçu par le CNES, le berceau de SEIS comportait trois frangibolts, qui devaient impérativement fonctionner après leur mise à feu, au risque de rester avec l'instrument cloué sur le pont. Durant la séquence de déploiement, si un ou plusieurs des frangibolts ne s'étaient pas comportés comme prévu, le bras robotique aurait été incapable de soulever le sismomètre, et n'aurait donc pas pu poursuivre la séquence de déploiement.

Pour tenter d'estimer l'état des frangibolts, les ingénieurs du Jet Propulsion Laboratory se sont intéressés à leurs températures, une information qui faisait partie des données de télémesure transmises par InSight. Alors que la température de ces dispositifs avait toujours été très stable jusqu'à présent, les ingénieurs s'aperçurent que celle-ci avait clairement baissé. Quelque chose avait donc eu lieu au niveau des frangibolts de SEIS. En comparant leur température avec celles des frangibolts du capteur de flux thermique HP3 (qui étaient eux toujours armés), les ingénieurs avaient finit par acquérir la conviction que la mise à feu s’était bien déroulé, et que SEIS avait donc dû se désolidariser correctement du pont de l’atterrisseur.

La joie des ingénieurs du Jet Propulsion Laboratory lors de la réception des premières images confirmant le déploiement du sismomètre SEIS au sol, le 19 décembre à 20h50 (© NASA/JPL/IPGP/Philippe Labrot)La joie des ingénieurs du Jet Propulsion Laboratory lors de la réception des premières images confirmant le déploiement du sismomètre SEIS au sol, le 19 décembre à 20h50. Au premier plan, de droite à gauche : Jamie Singer, Ken Hurst et Farah Alibay (© NASA/JPL-Caltech/IPGP/Philippe Labrot).

En continuant d’étudier la télémétrie, une autre information très intéressante arriva : le compteur de mouvement des articulations du bras robotique indiquait une valeur qui était exactement celle attendue si toutes les étapes de dépose s’étaient déroulées comme prévu. Rien de plus ne pouvant être extrait du flux de données reçu, l'équipe se mis à attendre, dans une sorte de calme mêlé de fébrilité et d'impatience, les images des deux caméras techniques d'InSight.

Arrivée des premières images

Vers 20h30, alors que les informations relayées par la sonde Mars Odyssey s’apprêtaient à être rapatriées au sol, tous les ingénieurs avaient les yeux rivés sur les consoles de la salle d’opération. Côté français, une petite équipe d’experts du CNES s’était installée à quelques mètres des opérateurs du JPL, de manière à pouvoir intervenir immédiatement si toute anomalie était détectée. Le responsable scientifique de l’instrument, Philippe Lognonné (IPGP), était également présent.

Minute après minute, la tension devenait de plus en plus palpable. Les visages, jusqu’alors encore assez détendus commençaient à se fermer, et l'inquiétude semblait gagner toutes les personnes présentes dans la salle d'opérations. Côté américain, impossible de deviner ce que pouvait bien vivre les ingénieurs expérimentés du JPL qui avaient déjà participé à de nombreuses missions martiennes, et qui supervisaient l'équipe en poste derrière les écrans. Si l'un d'entre eux gardait clairement le sourire, deux autres étaient très calmes, et ne laissaient rien transparaître de ce qu'ils pouvaient ressentir.

A 20h50, penchée sur sa console, l’ingénieur systèmes Farah Alibay (JPL) fut la première à apercevoir le sismomètre SEIS à la surface de Mars, en lançant un cri de joie. Un instant plus tard, les images, prises par la caméra IDC du bras robotique et la caméra ICC montée sous le pont furent projetés sur les grands moniteurs de la salle d’opération, en provoquant un déluge d'applaudissements. Subjugués par la beauté des clichés, et la réussite totale de l’opération, les membres de la mission se sont massés devant les écrans, avec des visages émerveillés ou fascinés, sans parfois pouvoir souffler un seul mot.

Nicolas Verdier et Michel Nonon (CNES) devant la première image de la caméra ICC montrant le sismomètre SEIS au sol (© NASA/JPL).Nicolas Verdier (responsable performance, CNES, à gauche) et Michel Nonon (responsable commande et contrôle, CNES, à droite) devant la première image de la caméra ICC montrant le sismomètre SEIS au sol sur Mars (© NASA/JPL-Caltech/IPGP/Philippe Labrot).

Une heure avant l'arrivée des images, l'équipe en charge du déploiement avait projeté sur les moniteurs de la salle de contrôle des clichés obtenus sur le banc de test avec l'atterrisseur ForeSight, non seulement pour passer une dernière fois en revue ce qui était attendu, mais aussi pour combattre une impatience grandissante. Lorsque les images en provenance de Mars se sont enfin affichées sur les écrans, il était frappant de constater leur grande ressemblance avec celles obtenues sur Terre. A l'exception du sol ocre et du ciel crépusculaire, jouer au jeu des sept différences n'était pas aisé, notamment sur la façon dont le sismomètre reposait sur le sol, ou sur la manière dont le câble s'était déroulé derrière lui. Ce qui en disait long sur les immenses efforts consentis dans la préparation du déploiement de SEIS à la surface de la planète rouge.

Le soir du 19 décembre 2018 est désormais une date historique dans l’histoire de la conquête spatiale. Celle où la maitrise technologique de la NASA, combinée aux efforts de l’équipe internationale responsable du sismomètre SEIS, a permis la dépose sur le sol martien d’un instrument qui va nous permettre d’illuminer, pour la première fois, l’intérieur de la planète rouge.

Dernière mise à jour : 19 janvier 2019

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