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Le futur de la sismologie martienne

Sismomètres connectés en réseaux, pénétrateurs et capteurs optiques

Une science de réseau

Vue d'artiste de la rentrée atmosphérique des capsules NetLander (© CNES/david Ducros)Vue d'artiste de la rentrée atmosphérique des capsules NetLander (© CNES/David Ducros). La mission InSight a pour objectif de déposer un sismomètre sur la planète Mars. Si l'installation de l'instrument, très importante pour acquérir des données de qualité, a été particulièrement étudiée, depuis la dépose par un bras robotique jusqu'à la mise en place du bouclier de protection thermique et éolien WTS, en passant par une mise à niveau par l'intermédiaire d'un berceau motorisé, il n'en reste pas moins que SEIS va devoir travailler seul, ce qui n'est pas très agréable pour un sismomètre.

Il y a 40 ans, lorsque les scientifiques ont tenté au travers de la mission Viking de sonder les profondeurs de la planète Mars, les sismomètres étaient déjà au nombre de deux. Un couple d'appareils avaient également été placés dans les capsules autonomes de la mission russe Mars 96, qui n'est hélas pas parvenue à quitter l'orbite terrestre.

En sismologie, deux c'est mieux qu'un, mais le véritable objectif des géophysiciens apparaît clairement quand on regarde les projets sur lesquels ces derniers ont travaillé et rêvé : la mission NetLander aurait par exemple dû déployer 4 stations d'écoute, et l'ambitieux projet MESUR comportait le largage de pas moins de 16 sismomètres sur la totalité du globe martien, sans compter 4 stations supplémentaires qui auraient pu être apportées par l'Europe.

Les pénétrateurs Deep Space 2 de la mission Mars Surveyor 98 (© NASA/JPL).Les pénétrateurs Deep Space 2 de la mission Mars Surveyor 98 (© NASA/JPL).

On le voit, le désir des géophysiciens est d'enserrer le globe martien dans un réseau serré de stations d'écoute, disséminées sur toute la planète, pour constituer un équivalent, certes bien plus modeste, au réseau sismologique mondial terrestre, qui compte plusieurs dizaines de milliers de stations.

Jusqu'à présent, les projets qui consistaient à déployer un réseau de sismomètres planétaires ont tous été annulés à différents stades, principalement pour des questions de coût, mais également parce qu'en ce qui concerne la planète Mars, les investigations géophysiques n'ont pas reçues la priorité voulue, et ont dû plier l'échine devant les activités exobiologiques, destinées à rechercher des traces de vie, passées ou présentes. L'exploration de la planète rouge est en effet principalement motivée par la quête lancinante des origines de la vie.

Un challenge immense attend donc la mission InSight : non seulement celui d'effectuer les premières véritables mesures sismiques sur Mars, et aussi celui de sonder les profondeurs de Mars, depuis la croûte jusqu'au noyau. C'est une étape essentielle pour comprendre l'origine et l'évolution des planètes rocheuses de notre système solaire, et elle mérite à ce titre autant d'égards que les autres axes de recherche.

Malgré les nombreuses techniques que les géophysiciens vont déployer pour tirer le maximum du sismomètre unique d'InSight, SEIS sera inévitablement, à un moment donné, confronté à des limitations. C'est pourquoi les scientifiques et ingénieurs continuent d'étudier des projets qui consisteraient à déposer non pas un, mais de multiples sismomètres sur Mars. En montrant la voie, InSight devrait marquer le point de départ d'un renouveau dans l'étude géophysique de la planète rouge. En 2021, une seconde station sismique, embarquée dans l'atterrisseur Russe de la mission ExoMARS 2020, accompagnera le sismomètre SEIS d'InSight, et ce même si son installation ne sera pas forcément aussi optimale. Plus que jamais, l'avenir de la sismologie martienne, c'est le réseau.

De l'intérêt des pénétrateurs

Les pénétrateurs de la mission Mars 96 (© CNES/David Ducros)Les pénétrateurs de la mission Mars 96 (© CNES/David Ducros).

Dans les projets passés de missions en réseau, les sismomètres étaient généralement déployés au sol grâce à des petites capsules, qui embarquaient éventuellement d'autres instruments de géophysique, ainsi que l'indispensable station météorologique. C'est ainsi que la plateforme tétraédrique munie d'airbag qui a déposé le petit rover Sojourner sur Mars en juillet 1997 était à la base conçue pour disséminer des sismomètres dans le cadre de la mission MESUR. Bien qu'étant autonomes, à la fois d'un point de vue électrique et télécom, ces stations au sol ne sont cependant pas idéales pour placer un sismomètre au sol.

Effectivement, la qualité des signaux acquis par un sismomètre dépend entre autre de la manière dont l'installation a été effectuée, et de la qualité du couplage de l'instrument avec le sol. Une installation bancale, un couplage inadéquat, et le sismomètre peut se retrouver incapable de sentir correctement les mouvements sismiques du sol.

C'est pourquoi les géophysiciens ont souvent les yeux tournés vers une autre manière de déployer des sismomètres : des pénétrateurs. Un pénétrateur est une sorte de fléchette sophistiquée, généralement bardé d'instruments miniaturisés, qui est largué par un vaisseau mère depuis l'orbite, et dont l'objectif est d'aller s'enficher dans la surface rocheuse d'une planète.

Le pénétrateur de Mars 96 (© David Ducros)Un écorché du pénétrateur de Mars 96 enfiché dans le sol martien (© David Ducros).

La mission russe Mars 96, en plus des capsules dont nous avons déjà parlé, embarquaient également deux pénétrateurs, qui comportaient, en plus de différents instruments retenus pour étudier les propriétés mécaniques, magnétiques et chimiques du sol, un sismomètre courte période. Ceux-ci n'ont cependant malheureusement jamais quitté l'orbite terrestre et ont terminé, comme le reste de la mission, dans le Pacifique.

En 1998, la NASA avait également lancé vers Mars deux pénétrateurs. Baptisés Deep Space 2, ils avaient voyagé à bord de la sonde Mars Polar Lander, qui devait rallier le pôle sud de la planète rouge pour y conduire diverses investigations. Les pénétrateurs Deep Space 2 ne comportaient pas de sismomètres, et servaient principalement de démonstrateurs technologiques, pour valider cette méthode novatrice qui consiste à s'enfoncer à grande vitesse dans la surface de Mars, et non pas à se poser en douceur.

Hélas, les deux pénétrateurs Deep Space 2 ont disparu sans laisser de trace le 3 décembre 1999 lors de l'atterrissage, en même temps que leur vaisseau porteur, Mars Polar Lander. Aucune trace n'a jamais été retrouvée en surface, et encore aujourd'hui, nous ignorons ce qui les a frappés dans leur course vers Mars.

Malgré les échecs liés à ces premières tentatives, les pénétrateurs restent des dispositifs particulièrement prometteurs pour l'étude géophysique de la planète rouge. Ces sondes sont généralement conçues sur le même schéma : elles comportent deux parties, reliées l'une à l'autre par un ombilic flexible d'interconnexion.

Au moment du choc avec le sol, la partie supérieure, plus large, reste en contact avec la surface, tandis que la partie inférieure, plus étroite et pointue, se désolidarise pour s'enfoncer dans le sous-sol en déroulant derrière elle l'ombilic. La partie supérieure dispose d'une antenne radio pour les communications, et l'alimentation en énergie est assurée par une batterie, ou mieux, un générateur thermoélectrique radio-isotopique (l'énergie est alors fournie par la décomposition radioactive d'une petite pastille de matériel radioactif).

Il est fort probable que la première mission martienne géophysique de réseau déploie non pas des capsules ou des atterrisseurs miniatures, mais des pénétrateurs dotés de sismomètres ultra-sensibles, miniaturisés et à large bande. Installés dans la partie inférieure du pénétrateur, ils bénéficieront d'un excellent couplage avec le sol, et d'une protection relative contre les éléments perturbateurs de Mars, en particulier l'atmosphère. Si la profondeur de pénétration est suffisante, ils pourraient également se retrouver à l'abri des énormes variations de température de surface, qui compliquent fortement la collecte des signaux sismiques à longue période.

Une sensibilité bluffante

L'une des autres pistes suivies par les géophysiciens planétaires concerne l'amélioration de la sensibilité des sismomètres, en plus du travail réalisé sur la miniaturisation (réduction du poids, du volume et de la consommation électrique). Le sismomètre de la sonde InSight, SEIS, est déjà incroyablement sensible : il peut effectivement mesurer des déplacements du sol plus petits que les dimensions de l'atome d'hydrogène.

Si elle laisse rêveur, cette prouesse technologique n'est qu'une première étape sur la feuille de route des géophysiciens. Ceux-ci travaillent déjà en laboratoire sur des concepts et prototypes d'appareils encore plus sensibles. Contrairement à SEIS, qui utilise des électrodes pour mesurer les déplacements de la partie mobile du pendule, cette nouvelle génération de sismomètre s'appuierait sur des capteurs optiques interférométriques, similaires à ceux mis au point pour l'instrument terrestre Virgo ou la mission spatiale eLISA.

Les trois sondes de la mission spatiale eLISA (© ESA)Les trois sondes de la mission spatiale eLISA (© ESA).

eLISA

Prévue pour la période 2030-2040, eLISA va consister à déployer dans l'espace un gigantesque interféromètre optique, composé d'une constellation de trois satellites reliés les uns aux autres par un faisceau laser.

Situés à 1 million de kilomètres de distance l'un de l'autre, les satellites formeront les sommets d'un triangle dont les côtés seront symbolisés par les lasers, et qui vont permettre de contrôler à tout instant avec une précision incroyable la distance entre les trois satellites.

L'objectif de cet assemblage gigantesque est de tendre un piège aux ondes gravitationnelles. Lorsque ces rides qui déforment le tissu de l'espace temps viendront frapper eLISA, elles déplaceront de manière presque infime les satellites. Comme ces derniers vérifient en permanence leur position les uns par rapport aux autres, la modification de distance induite par le passage de l'onde, bien qu'infime, sera néanmoins détectée et mesurée.

Pour tester et valider les technologies qui seront nécessaire à eLISA, l'agence spatiale européenne a donc mis sur pied une mission précurseur, LISA Pathfinder.

Le démonstrateur technologique LISA Pathfinder, qui a effectué avec succès sa mission entre le mois de décembre 2015 et le mois de juillet 2017, abrite en son sein deux cubes métalliques, qui flottent librement dans une enceinte sans aucun contact avec le reste du satellite, et dont la position est en permanence mesurée par un interféromètre laser. Comme une bouée ballottée par le ressac, les deux cubes (que l'on appelle masse d'épreuve) vont osciller sous le passage des ondes gravitationnelles. Cependant, pour que ces fluctuations infimes puissent être détectées, il est impératif que toutes les sources possibles de perturbations soient correctement annulées ou contrecarrées.

Vue d'artiste de la sonde LISA Pathfinder (© ESA)Vue d'artiste de la sonde LISA Pathfinder (© ESA/C. Carreau).

Lancée avec succès le 3 décembre 2015, LISA Pathfinder a été envoyée en direction du point de Lagrange L1, une zone de l'espace située à 1,5 million de kilomètres de notre planète où les influences gravitationnelles du Soleil et de la Terre s'annulent. La tranquillité qui règne à cet endroit est clairement un avantage pour les mesures que doit conduire LISA Pathfinder, mais elle n'est pas encore suffisante, car d'autres forces rentrent en jeu.

C'est le cas de la pression solaire, qui va s'exercer sur la sonde et provoquer son déplacement. Pour contrebalancer la poussée des photons émanant de notre étoile, LISA Pathfinder est équipé de moteurs ioniques miniatures, qui vont permettre de contrôler la position du satellite à quelques nanomètres près.

Enfin, le satellite lui-même va perturber les cubes, d'un point de vue magnétique, électrique ou gravitationnel, et tout a été fait pour minimiser ou annuler ces forces internes, de manière à ce que les déplacements des masses d'épreuves ne reflètent que le passage des ondes gravitationnelles, et rien d'autre. Pour se faire, l'interféromètre laser qui surveille les cubes doit pouvoir déceler des mouvements extrêmement petits de l'ordre du picomètre (soit 1 / 1 000 000 000 000e de mètre).

Toutes les technologies nécessaires pour la mission LISA Pathfinder intéressent au plus haut point les géophysiciens planétaires, car un sismomètre capable de suivre les mouvements de la partie mobile (la masse d'épreuve) via un dispositif interférométrique permettrait d'atteindre des niveaux de sensibilité hors de portée des instruments actuels.

Pour suivre le déplacement du sol, le sismomètre d'InSight SEIS utilise un capteur électronique qui mesure la capacité électrique entre deux paires d'électrodes, l'une étant monté sur la partie fixe, l'autre étant fixé sur la partie mobile. La sensibilité offerte par un tel dispositif permet déjà de mesurer des mouvements de l'ordre de l'angström, soit 1 dixième de milliardième de mètre aux longues périodes.

Avec un capteur optique, des mesures cent fois plus précises pourraient avoir lieu, ce qui ouvrirait des perspectives entièrement nouvelles dans le domaine de la géophysique planétaire.

Sur Mars, les géophysiciens seraient en mesure de sentir les oscillations très subtiles de la planète, lorsque celle-ci se met à résonner suite à une excitation provoquée par un séisme, un impact de météorites ou même la circulation de l'atmosphère. Sur la Lune, ces sismomètres permettraient de détecter des signaux sismiques "exotiques", comme ceux générés par l'impact de noyaux atomiques massifs, voire les oscillations provoquées par le passage d'ondes gravitationnelles.

En décembre 1972, la mission Apollo 17 avait d'ailleurs tenté de détecter de telles ondes grâce à un gravimètre, mais la technologie disponible à l'époque n'avait pas permis d'effectuer les mesures souhaitées. Les ondes gravitationnelles furent finalement détectées 40 années plus tard, en février 2016, grâce à deux observatoires terrestres.

Dernière mise à jour : 7 août 2017

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