Les sons étranges de Mars
Les symphonies telluriques, atmosphériques et métalliques de SEIS
Suite à son installation sur le sol de Mars en février dernier, le sismomètre SEIS de la sonde InSight, fourni par l'agence spatiale française (CNES), s'est mis à l'écoute de la planète rouge. Ce monde désertique et froid, dont le passé mouvementé a laissé place à un engourdissement géologique profond, "respire" encore cependant de manière très ténue. En permettant l'étude de la propagation des ondes sismiques, provoquées par des ruptures de matériaux rocheux ou des impacts de météorites, SEIS va permettre de déterminer la structure interne de Mars, et fournir des informations cruciales sur l'histoire de sa formation et de son évolution.
Sonification
Qu'elle soit terrestre ou planétaire, la sismologie est une discipline quelque peu austère.
Contrairement aux nombreuses images fournies par les satellites d'observation qui évoluent en orbite ou les rovers qui arpentent la surface poussiéreuse et désolée de la planète rouge, la majorité des données que le sismomètre SEIS renvoie quotidiennement vers la Terre sont difficiles d'accès pour les êtres humains.
Que les signaux sismiques soient visualisés sous l'aspect de formes d'ondes, ou par l'intermédiaire de spectrogrammes colorés (où chaque fréquence vibratoire est représentée en fonction de sa puissance), ces derniers ne sont effectivement pas intuitivement compréhensibles. Il existe cependant une technique qui, moyennant quelques petits compromis avec la réalité, permet de leur donner un aspect plus engageant et convivial : c'est la sonification.
Etant donné leurs fréquences, les signaux enregistrés par SEIS sont naturellement inaudibles par l'oreille humaine. De plus, les secousses sont bien trop subtiles pour pouvoir être ressenties en l'état. Néanmoins, en amplifiant les données et en les accélérant, il devient possible de les écouter. Il ne s'agit certes pas de véritables sons, comme ceux que pourrait par exemple transmettre un microphone, mais le résultat est néanmoins intéressant et intriguant.
Le grondement des séismes martiens
Depuis sa mise en service en début d'année, le sismomètre SEIS embarqué sur InSight a enregistré environ 100 événements, dont une vingtaine ont été interprétés comme des tremblements martiens. La toute première secousse confirmée a eu lieu au cours du sol 128, le 7 avril 2019. Deux autres séismes plus puissants ont ensuite été détectés au cours du sol 173 (22 mai 2019) puis du sol 235 (25 juillet 2019), avec des magnitudes respectives de 3,7 et 3,3. Intensivement étudiés par une équipe internationale de sismologues planétaires, ils ont livré des informations très intéressantes sur la structure de la croûte martienne.
En attendant la publication des premiers résultats scientifiques, les signaux des sols 173 et 235 capturés par les capteurs les plus sensibles du sismomètre, les pendules VBB, ont été sonifiés par les chercheurs de l'Institut de Physique du Globe de Paris, et rendu disponible sous la forme de fichiers audio par le Jet Propulsion Laboratory (JPL), le centre de la NASA responsable de la mission. A l'écoute, ces séismes extraterrestres, qui ont ébranlé une planète située à des centaines de millions de kilomètres de la Terre, ressortent sous la forme d'étranges grondements étouffés.
Des sources multiples de bruits étranges
Avec sa sensibilité extrême, SEIS n'enregistre pas uniquement les secousses du sol, mais la totalité de l'agitation qui règne autour de lui, y compris ... la sienne !
L'activité perturbatrice la plus commune est de nature météorologique. Le site d'atterrissage d'InSight sur la plaine d'Elysium est particulièrement venteux : outre les bourrasques éoliennes, de nombreux tourbillons de poussière circulent dans le secteur, en frôlant parfois d'assez prêt l'atterrisseur. Si ces turbulences atmosphériques, qui sont surtout présentes en journée, doivent être ôtées des données pour faire ressortir les signaux sismiques, les scientifiques s'en servent toutefois pour sonder le proche sous-sol.
D'autres bruits surprenants ou amusants sont également dévoilés par l'oreille d'or qu'est SEIS. C'est le cas en particulier des mouvements du bras robotique de la sonde, qui ressort sur les enregistrements sous la forme de crissements stridents.
Plus bizarre encore, des cliquetis, surnommés par l'équipe scientifique "dinks et donks", apparaissent aussi régulièrement en soirée, alors que l'activité éolienne retombe. Ils proviennent des entrailles du sismomètre lui-même. A l'intérieur de l'instrument, certaines parties se contractent ou se dilatent sous l'effet des variations journalières énormes de température. Malgré les multiples et très efficaces couches de protection thermique dont bénéficie le sismomètre (sphère sous vide, bouclier thermique RWEB, cloche WTS), ce dernier ne peut effectivement pas être totalement isolé de l'hostilité de l'environnement martien. Il en résulte des craquements inéluctables, similaires à ceux qu'émet un moteur de voiture lorsqu'il est coupé et qu'il se refroidit, et qui sont enregistrés par les capteurs sismiques. D'autres sifflements très subtils seraient eux causées par des interférences dans l'électronique.
Au final, lorsqu'ils sont sonifiés, les signaux enregistrés par SEIS se transforment en un concert d'un genre très spécial, une symphonie extraterrestre tellurique, atmosphérique et métallique, dont un exemple est disponible ci-dessous. Assemblé par la NASA à partir d'enregistrements fournis par les équipes en charge du sismomètre, le clip illustre, à l'aide d'images de la caméra IDC et d'un spectrogramme, les bruits générés par les mouvements du bras robotique, l'activité éolienne, ainsi que les gargouillis internes du sismomètre.